Vimy est situé à équidistance de Lens et d'Arras, son plateau domine le bassin minier. La reine d’Angleterre s’y rend aujourd’hui 9 avril 2007 pour la célébration anniversaire de cette bataille décisive de 14-18, bien plus connue au Canada qu’en France.
Je suis né et j’ai vécu les vingt premières années de ma vie à quelques kilomètres de là. Vimy était pour nous le lieu le plus exotique et étrange que l’on put trouver dans la région. Notre grand-père avait coutume d’y emmener le jeudi ses quatre petits-enfants dans sa 2CV Citroën « pour prendre un bon bol d’air », disait-il (car le site est "en altitude"). Lui même ancien soldat de la Grande Guerre, il nous racontait par le détail tous ces combats, de là et d’ailleurs (Verdun, la Somme…), garçons et filles l’écoutions en silence, car il ne fallait pas plaisanter avec 14-18, avant d’avoir le droit de dévaler en criant dans les profonds cratères (plus de 10 mètres encore, cinquante ans après) laissés par les bombes.
Cette crête de 8 Km de long dominant de 110 mètres le bassin minier de Lens fut donnée en 1922 à perpétuité par la France au Canada, qui en assure encore l’entretien et la surveillance. Le gigantesque monument canadien dressé à Vimy, et récemment rénové, comporte des sculptures impressionnantes. L'arrête de Vimy est aujourd'hui boisée, chaque arbre a été planté par un Canadien et symbolise le sacrifice d'un soldat. Une des choses les plus curieuses à voir à Vimy (tout a été soigneusement préservé et se visite), ce sont les tranchées respectivement allemande et canadienne qui serpentent le long de la crête et ne sont, par endroits, séparées que de quelques dizaines de mètres, à portée de voix ou de jet de grenade. C’est à Vimy qu’adolescent je réalisai un jeudi mon premier exploit sportif (sans aucun témoin) en grimpant à bicyclette cette côte, venant de Lens, en me racontant sans doute que j’avais l’allure d’un Louison Bobet ou d’un Charly Gaul, les héros du Tour à l'époque. Dame, 110 mètres de dénivelé, c’est énorme pour le plat pays qui est le mien !
Les combats qui permirent de déloger les Allemands de cette crête, réputée inexpugnable depuis 1914, firent 3 600 morts et 7 000 blessés dans les rangs canadiens. Le 9 avril 1917, plus de 30 000 soldats canadiens s'étaient lancés à l'assaut de la crête de Vimy, où les forces allemandes étaient solidement retranchées. En quatre jours de lutte acharnée, les Canadiens allaient réussir là où les armées anglaises et françaises venaient d'échouer.
Ce fait d'armes, qui voyait pour la première fois rassemblés les quatre corps de l'armée canadienne, a fait de la bataille de Vimy un événement fondateur de la nation canadienne, à l'époque encore partie de l'Empire britannique. Il m’est arrivé récemmment, dans les années deux mille, de m’entretenir avec un jeune ingénieur canadien de passage en France et de vouloir lui expliquer tant bien que mal de quelle région je venais ; quand j’en vins à un degré de précision géographique suffisant, il m’interrompit pour demander si ça se trouvait loin de Vimy ! A l'âge de vingt ans, je me trouvais étudiant-stagiaire pour le mois de juillet à Düsseldorf ; un jour on m'envoie au dernier étage consulter les archives des titres (les actions n'étaient pas encore dématérialisées) tout là-haut dans les soupentes du bâtiment ; le vieux bonhomme qui tient les registres m'interroge sur mes études, mes impressions sur l'Allemagne, mes origines. Je lui cite "Lens" en illustrant ce nom de ville de ses activités réputées dans le charbon et le football. Le bonhomme s'écrie alors : "Mais c'est juste à côté de Vimy !". Devinez ... il était dans les tranchées de Vimy en 1917. L'Allemand s'empare d'un crayon et de papier et se met à me tracer la carte de la bataille, avec tous les noms des villages alentour : Givenchy-en-Gohelle, Souchez, Ablain-St Nazaire, Neuville St Vaast. Séquence émotion.
Devenu adulte, quand je passais par Vimy et que la lumière était belle (des ciels de nuages comme on n'en voit que dans le nord) je faisais un crochet par le Monument canadien, et près de la grande statue de femme je contemplais la plaine, les terrils et chevalets que je savais désigner par leur nom (des numéros, en fait, on dit "la fosse 8") et je trouvais que tout cela avait de la grandeur : le travail acharné des hommes dans les mines, la lutte héroïque des hommes sur les collines ... Polonais, Espagnols, Portugais, Italiens fans les mines.... et Canadiens à Vimy, étaient venus là faire ou donner leur vie. Jamais on ne parlait d'intégration, d'assimilation à leur sujet, jamais eux ne hurlaient au ministre de l'intérieur qu'il était un sale enculé. Depuis ces temps reculés, la société française a ... "évolué", disons. Et voilà, on ne se refait pas : je redeviens un grincheux, mais alors, grave, de chez Grave.
Détails sur le déroulement de la bataille
Le parc mémorial canadien
Musée canadien de la Guerre
Quel magnifique billet ! Je viens de terminer la lecture du dernier livre de Max Gallo "L'âme de la France" qui explique comment au fil des siècles s'est construite cette nation et son âme. Chacun d'entre-nous est le résultat d'une histoire personnelle qui prend ses racines dans ce que furent nos grands-parents, les circonstances de l'existence, le pays où nous vivons et les choix que nous avons faits. Nous sommes aussi citoyens d'un pays, d'une nation et son hisoire marque de façon certaine notre façon propre d'être et de regarder le monde, notre culture aussi. Nous sommes tous les enfants de cette effroyable guerre de 1914-1918.
Rédigé par : Jean-Marc Bondon | 09 avril 2007 à 13:15
A la lecture de ce billet beaucoup de souvenirs ressurgissent. J'ai semble-t-il l'age du grincheux (pas que l'age me dit mon épouse) et cette présentation de Vimy correspond au souvenir que j'en ai. Venant de Lens également en bicyclette il n'était pas rare de faire Vimy et Lorette (les deux sommets de la région) pour prendre un bol d'air !
La visite des tranchées avait impressionné l'enfant que j'étais. Une émotion que j'ai retrouvé en visionnant le film "Joyeux Noël" et l'interprétation de Dany Boon.
C'est décidé à mon prochain passage dans la région je fais un crochet par Vimy pour rendre hommage aux Canadiens !
Gérard Trédez
Rédigé par : Gérard Trédez | 11 avril 2007 à 08:22
Passionnant, mais où est la suite annoncée?
Rédigé par : jean-paul | 12 avril 2007 à 12:42
Cher Grincheux,
Excellent billet, qu'apprécie l'artésien qui sommeille encore en moi. Il y a du lyrisme dans ta plume! A cette évocation, je repense à mon père (blessé à Verdun)qui à 70 ans passés se plaignait à son médecin de quelques "palpitations", omettant de signaler qu'il venait alors de battre son record personnel Lens-Notre Dame de Lorette, sur son "vélo d'homme"...Quelque soit notre âge, nous avons toujours un coeur (symbolique) d'enfant!
Cordialement!
Rédigé par : Jack | 12 avril 2007 à 14:38