"Précis de décomposition française" - Auteur : André Bercoff - Editeur : Albin Michel - Paru en novembre 2008 - André Bercoff, journaliste chevronné réputé, est auteur de 35 romans, essais, et pamphlets notamment sous le pseudonyme de Caton. Il tient un blog : voir ici.
Chapitre 1 (intégral)
Ce siècle a moins de dix ans et la décomposition atteint enfin un point au-délà duquel le basculement ne devient plus un luxe, mais une nécessité. Dans l'esprit des princes qui nous gouvernent depuis trente ans, l'essentiel est resté de faire comme si. Comme si nous étions toujours dans les années glorieuses, avec plein-emploi, croissance élevée, caisses remplies et contrats à durée indéterminée dans le camp des vainqueurs. La complaisance dissimulatrice des gouvernants fleurissait sur l'inépuisable terreau de la passivité et de l'infantilisation des gouvernés qui, en bons cobayes de la prospérité démocratique, ne se réveillaient en hurlant que quand leurs intérêts très particuliers devenaient tant soit peu menacés. Comme le disait un dessinateur anarchiste des années 1900, la dictature c'est : ferme ta gueule, la démocratie c'est : cause toujours. Notre XXIe siècle a amélioré les choses : aujourd'hui, on cause plus que jamais à la radio, à la télévision, sur Internet, dans les journaux, c'est tout ce que l'on sait faire. Si on défile, c'est par castes, corporations, couleurs, religions, ethnies. Au supermarché d'une république de compromissions et de compromis, chacun cherche son rayon, pour être surtout servi par les autres. Et pouvoir rouler béatement, pare-chocs contre pare-chocs, sur les autoroutes du week-end.
Chapitre 2 (extrait)
Aujourd'hui, la France est occupée doucement, gentiment, insidieusement, par le camp du Bien La pensée correcte triomphe sur tous les étals médiatico-politiques. Munich [référence à 1938, ndlr] circule dans les têtes à la vitesse de la grippe aviaire. au fur et à mesure des abandons de tout excès polémique, de toute pensée critique, de tout comportement hors norme, de toute idée non formatée au profit des utopies défraîchies côté gauche et de l'arnaque financière et publicitaire côté droite, la France, comme le titrait récemment un mensuel avenant, s'emmerde. Et se couche. Et râle. Et s'endort en faisant des rêves de star.
Est enfin accomplie la castration de ce peuple français qui, jadis, prenait des Bastilles et, il y a quelques décennies, pouvait encore effrayer, en faisant mine de défiler pour changer la vie. Depuis, nous avons bien travaillé. Le vocabulaire est définitivement rentré au bercail : désormais, il est interdit de ne pas interdire. Ne fumez plus ; cancer du poumon. Ne baisez plus : sida et autres MST. Ne mangez plus : vache folle et OGM. Ne sortez plus : attentats terroristes. Ne parlez plus des juifs : vous serez condamnés pour antisémitisme. Ne caricaturez plus Mahomet : vous serez incendiés, sinon égorgés. N'osez plus une plaisanterie sur les gays : l'homophobie vous guette. Ne racontez plus une histoire sur les blacks : vous serez vitupérés racistes à part entière. Nous voici revenus au temps de Beaumarchais où, comme chacun sait, l'on pouvait parler de tout, pourvu que l'on ne parlât de rien. Plus besoin de censeurs, les ciseaux travaillent dans les têtes. La mondialisation et l'Union européenne ont rétréci les marges de manoeuvre de deux qui font semblant de tenir ferme le gouvernail : en trente ans et plus, nos dirigeants ont donc fait en sorte que la France hiberne durablement dans un préservatif.
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Salut les dormeurs ! Bonjour les lecteurs !
Rédigé par : diablotine | 17 novembre 2008 à 08:45
"Penser à gauche, vivre à droite : le prurit ravage sec quelques milliers de consciences secondaires entre Cabourg et le Luberon." [La Guerre des autres, 1977]
Sans rapport ? probablement ! Pourtant, je me risque à citer Barbey d’Aurevilly dont on vient de fêter le bicentenaire.
"Les grands hommes sont comme les plus belles fleurs. Ils croissent sous le fumier et à travers le fumier que jettent sur eux les envieux et les imbéciles." [Disjecta Membra]
"Les gouvernements ne sont pas faits d'une autre pâte que les hommes auxquels ils commandent." [Poésies et poètes]
Rédigé par : pepite | 17 novembre 2008 à 12:12
On me rencontre plus dans des blagues un peu cochonnes que dans des écrits intellectuels. Et pourtant, je trouve dommage que Bercoff ait suscité aussi peu de commentaires, à croire que personne ne le connaît. Si c'est le cas, il faut combler cette lacune ! Car sachez que vous qui appréciez le grincheux, vous apprécierez Bercoff, il y a incontestablement des points communs entre eux. Allez, ne fais pas ta violette !
Rédigé par : diablotine | 21 novembre 2008 à 11:53