En voyant ce pauvre Monsieur Hollande courir en zigzag de caméras TV en caméras TV dans le but ridicule de montrer aux concitoyens que lui, il travaille pendant l'été, que le chômage n'est pas en congé en août cette année (contrairement à l'été dernier où l'on a vu tout le gouvernement s'égailler pour des vacances bien méritées après trois mois de fonction), je pensais à un conte de mon cher Alphonse Daudet intitulé "Le sous-préfet aux champs" qui fait partie des Lettres de mon moulin. Au lycée Condorcet de Lens, nous avions la chance d'avoir, entre autres, un professeur de lettres exquis qui s'appelait Claude Lourme. Nous l'appelions avec respect "Monsieur Lourme", il avait un talent pédagogique puissant ainsi que quelques qualités que nous appréciions, comme un goût prononcé pour le calembour et la facétie ; il nous sortait parfois ex abrupto (si vous me passez l'expression) une blague énorme en latin de fantaisie (ex. 'degringolavit de brancha in brancham et fescit pouf') qui faisait se tordre de rire les gamins et gamines de dix-onze ans que nous étions, et il exerçait aussi comme activité annexe admirée des enfants de Lens celle de membre de l'équipe de football "professeurs" dans les matchs contre les "élèves". J'ai rencontré Monsieur Lourme le premier jour de ma classe de 6e, lorsqu'il a attaqué, bille en tête, rosa, rosa, rosam, et je crois qu'il ne m'a plus jamais quitté. C'est sans aucun doute suite à la fréquentation assidue de Claude Lourme que je tiens ce petit blog au modeste lectorat (modeste lectorat, c'est ce que j'ai affirmé à la présidente du tribunal, ne venez pas me contredire). J'ai encore en tête Alphonse Daudet parce que Monsieur Lourme nous avait fait apprendre par cœur une moitié de la première Lettre nommée "Installation" ('Ce sont les lapins qui ont été étonnés...'), je n'avais pas pu résister à l'apprendre en entier, ce qui m'a permis au cours de mon année de 6e d'être exhibé dans les fêtes de famille et d'asseoir ma notoriété de "plutôt littéraire que matheux".
Au lieu de transpirer dans son costume sombre pour nous jouer son numéro d'illusionniste "voyez comme je travaille en août" qui ne peut tromper personne, Monsieur le Président devrait prendre exemple sur Monsieur le sous-préfet d'Alphonse Daudet : faire une pause dans un bosquet, tomber la veste, et nous composer des vers de mirliton où il serait question de la reprise (qui rime avec crise), de ré-industrialisation (qui rime avec relocalisation)... Monsieur le Président est en tournée, chauffeur devant, motards derrière...
Monsieur le sous-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la sous-préfecture l’emporte majestueusement au concours régional de la Combe-aux-Fées. Pour cette journée mémorable, M. le sous-préfet a mis son bel habit brodé, son petit claque, sa culotte collante à bandes d’argent et son épée de gala à poignée de nacre... Sur ses genoux repose une grande serviette en chagrin gaufré qu’il regarde tristement.
M. le sous-préfet regarde tristement sa serviette en chagrin gaufré : il songe au fameux discours qu’il va falloir prononcer tout à l’heure devant les habitants de la Combe-aux-Fées :
— Messieurs et chers administrés...
Mais il a beau tortiller la soie blonde de ses favoris et répéter vingt fois de suite :— Messieurs et chers administrés... la suite du discours ne vient pas.
La suite du discours ne vient pas... Il fait si chaud dans cette calèche !... À perte de vue, la route de la Combe-aux Fées poudroie sous le soleil du Midi... l’air est embrasé... et sur les ormeaux du bord du chemin, tout couverts de poussière blanche, des milliers de cigales se répondent d’un arbre à l’autre... Tout à coup M. le sous-préfet tressaille. Là-bas, au pied d’un coteau, il vient d’apercevoir un petit bois de chênes verts qui semble lui faire signe :
Le petit bois de chênes verts semble lui faire signe !
— Venez donc par ici, monsieur le sous-préfet ; pour composer votre discours, vous serez beaucoup mieux sous mes arbres...
M. le sous-préfet est séduit ; il saute à bas de sa calèche et dit à ses gens de l’attendre, qu’il va composer son discours dans le petit bois de chênes verts.
Dans le petit bois de chênes verts il y a des oiseaux, des violettes, et des sources sous l’herbe fine... Quand ils ont aperçu M. le sous-préfet avec sa belle culotte et sa serviette en chagrin gaufré, les oiseaux ont eu peur et se sont arrêtés de chanter, les sources n’ont plus osé faire de bruit, et les violettes se sont cachées dans le gazon... Tout ce petit monde-là n’a jamais vu de sous-préfet, et se demande à voix basse quel est ce beau seigneur qui se promène en culotte d’argent.
À voix basse, sous la feuillée, on se demande quel est ce beau seigneur en culotte d’argent... Pendant ce temps-là, M. le sous-préfet, ravi du silence et de la fraîcheur du bois, relève les pans de son habit, pose son claque sur l’herbe et s’assied dans la mousse au pied d’un jeune chêne ; puis il ouvre sur ses genoux sa grande serviette de chagrin gaufré et en tire une large feuille de papier ministre.
— C’est un artiste ! dit la fauvette.
— Non, dit le bouvreuil, ce n’est pas un artiste, puisqu’il a une culotte en argent ; c’est plutôt un prince.
— C’est plutôt un prince, dit le bouvreuil.
— Ni un artiste ni un prince, interrompt un vieux rossignol, qui a chanté toute une saison dans les jardins de la sous-préfecture... Je sais ce que c’est : c’est un sous-préfet !
Et tout le petit bois va chuchotant :
— C’est un sous-préfet ! c’est un sous-préfet !
— Comme il est chauve ! remarque une alouette à grande huppe.
Les violettes demandent :
Est-ce que c’est méchant ?
— Est-ce que c’est méchant ? demandent les violettes.
Le vieux rossignol répond :
— Pas du tout !
Et sur cette assurance, les oiseaux se remettent à chanter, les sources à courir, les violettes à embaumer, comme si le monsieur n’était pas là... Impassible au milieu de tout ce joli tapage, M. le sous-préfet invoque dans son coeur la Muse des comices agricoles, et, le crayon levé, commence à déclamer de sa voix de cérémonie :
— Messieurs et chers administrés...
— Messieurs et chers administrés, dit le sous-préfet de sa voix de cérémonie...
Un éclat de rire l’interrompt ; il se retourne et ne voit rien qu’un gros pivert qui le regarde en riant, perché sur son claque. Le sous-préfet hausse les épaules et veut continuer son discours ; mais le pivert l’interrompt encore et lui crie de loin :
— À quoi bon ?
— Comment ! à quoi bon ? dit le sous-préfet, qui devient tout rouge ; et, chassant d’un geste cette bête effrontée, il reprend de plus belle :
— Messieurs et chers administrés...
— Messieurs et chers administrés... a repris le sous-préfet de plus belle.
Mais alors, voilà les petites violettes qui se haussent vers lui sur le bout de leurs tiges et qui lui disent doucement :
— Monsieur le sous-préfet, sentez-vous comme nous sentons bon ?
Et les sources lui font sous la mousse une musique divine ; et dans les branches, au-dessus de sa tête, des tas de fauvettes viennent lui chanter leurs plus jolis airs : et tout le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours.
Tout le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours... M. le sous-préfet, grisé de parfums, ivre de musique, essaie vainement de résister au nouveau charme qui l’envahit. Il s’accoude sur l’herbe, dégrafe son bel habit, balbutie encore deux ou trois fois :
— Messieurs et chers administrés... Messieurs et chers admi... Messieurs et chers...
Puis il envoie les administrés au diable ; et la Muse des comices agricoles n’a plus qu’à se voiler la face.
Voile-toi la face, Ô Muse des comices agricoles !.. Lorsque, au bout d’une heure, les gens de la sous-préfecture, inquiets de leur maître, sont entrés dans le petit bois, ils ont vu un spectacle qui les a fait reculer d’horreur... M. le sous-préfet était couché sur le ventre, dans l’herbe, débraillé comme un bohème. Il avait mis son habit bas... et, tout en mâchonnant des violettes, M. le sous-préfet faisait des vers.
Je ne suis pas certain qu'en envoyant François au bois, il en rapporte des sous...
Rédigé par : Le Nain | 08 août 2013 à 09:31
Enfin, GG trouve quelque chose de bien dans le sud, enfin!
DROIT de REPONSE GG :
Il y a une palanquée de gens de qualité dans le midi, comme Lenonce et Jeanne-Pascale, auxquels je vais apporter mon renfort dans quelques jours pendant ma cure combinée cigales/rosé/casanis/pétanque. Sais-tu que j'y ai habité deux ans, dans ton midi, et y ai passé 10 années de suite deux mois de vacances scolaires d'été : je ne m'y sens pas étranger du tout... et je l'aime bien, tu sais (j'écris ces derniers mots avec l'accent) ; non, moi, ce qui ne passe pas, c'est le Marseille de Pagnol défiguré, dénaturé et pour tout dire détourné, capturé, repeuplé, livré à la loi du fric de la drogue et de la kalachnikov. Il est vrai que "canebière" vient du mot canabis par cannebis (chanvre)...
Rédigé par : Lenonce | 08 août 2013 à 12:00
Pour de bon ?
Rédigé par : Jeanne P. | 08 août 2013 à 15:14
@ mon BA Lenonce. On va peut-être - enfin ! -se rencontrer, devant un Casa 1/4 3/4 ! Mais à Aix plutôt qu'à Marseille, car les Parisiens craignent Marseille et leurs bandes de voyoucrates...
Rédigé par : Jeanne P. | 08 août 2013 à 15:40
Merci à Monsieur Lourme de vous avoir fait aimer Daudet.Personnellement c'est grâce au disque de Fernandel que je connais pratiquement par cœur la chèvre de Monsieur Seguin et le curé de Cucugnan .Daudet et Pagnol resteront parmi mes meilleurs souvenirs de jeunesse.
Rédigé par : jean-marc | 08 août 2013 à 18:45
Et moi, je peux venir apporter les macarons ? Je devrais passer par Aix vers le 25...
Rédigé par : porcoleader | 08 août 2013 à 19:11
A Aix tu prendras aussi des calissons !!!
Rédigé par : Serge | 08 août 2013 à 21:18
A Aix tu prendras des calissons
DROIT de REPONSE GG :
Oui...
Les bêtises de Cambrai
Les calissons d'Aix
Les envies de Béziers !
Rédigé par : Serge | 09 août 2013 à 09:22
Tu as omis de dire que M. Lourme, t'ayant appris à conjuguer le verbe amare au futur, tu n'as eu de cesse alors de t'exclamer, avec de l'admiration dans la voix : Amabit !
Rédigé par : Jeanne P. | 09 août 2013 à 13:48
Quelle fierté pour un petit fils de 23 ans de voir que la mémoire de son grand père perdure à travers ce goût littéraire, aujourd'hui présent chez vous et chez j'en suis sûr de nombreux autres anciens élèves . Il en serait, avec "Fierté", "humblement flatté" :)! c'est une certitude.
Merci donc de lui rendre hommage
Bonne soirée et bonne continuation
Fabien LOURME.
Rédigé par : LOURME | 31 janvier 2014 à 20:17