Un proche à l'esprit pervers ou profondément sarkozyste (la combinaison des deux serait assez plausible) m'a offert ce livre il y a quelques jours, alors que la quasi totalité des médias donnent Sarkozy perdant au second tour de la Présidentielle. Je pourrais aussi soupçonner cette personne, par ailleurs respectable, d'avoir plutôt été poussée par l'effet d'aubaine, car dans l'état actuel de la campagne le livre d'Eric Brunet, initialement en vente au prix imposé de 18,80 euros, se trouve probablement revendu autour de 3 euros dans les vide-greniers de nos villes et de nos villages.
Si par hasard ce dimanche 6 mai au matin se tient une braderie, une brocante, un vide-grenier, un marché aux puces près de chez vous, soyez certain de vous faire joliment remarquer en recherchant ardemment "Pourquoi Sarko va gagner", l'effet est garanti. L'autre jour, transportant ce livre sous le bras, j'ai fait halte au bistrot du coin et l'ai négligemment posé, première de couverture vers le ciel, sur le comptoir. Plusieurs consommateurs m'ont examiné comme si j'étais un martien envoyé par Jacques Cheminade. Et le patron m'a versé sa tournée avec un air de dire "pauvre vieux, ça ne va pas mieux, il faut le sustenter, une remise à niveau en 1664 lui fera du bien".
Il y a pas mal de choses intéressantes dans ce livre visionnaire écrit dans un style alerte, agréable, percutant. J'en ai extrait pour votre plaisir un passage consacré aux journalistes où l'auteur explique pourquoi il a rendu sa carte de presse. Eric Brunet exerce sa coupable industrie sur RMC et BFM TV. Il se revendique plutôt à droite. Ah ?
AVERTISSEMENT PERSONNEL : Si par hasard le journaliste à LIBERATION auquel je pense, qui me connaît sous ma vraie identité, avec lequel j'ai discuté de ce livre tout récemment passe par ici (il ne l'avait pas encore lu, moi non plus, nous n'avons parlé que du titre amusant et de l'auteur), il est vivement encouragé à cliquer MAINTENANT vers la sortie de cette page web. Le contenu qui suit n'est pas pour lui.
EXTRAITS :
J'ai rendu ma carte de presse. Ce n'est pas que symbolique. Je ne bénéficie plus de la déduction d'impôts de 7 650 euros. J'ai vu trop d’ignorants, d'aveugles et de militants de gauche dans cette corporation. Qu'ils s'amusent entre eux, moi je sors du jeu. Leur rejet compulsif, systématique de tout ce qui ne vient pas de la gauche m'a lassé. Je ne suis pas contre l'affirmation d'une opinion dans un média. Mais qu'ils jettent au moins le masque de l'objectivité et de l'éthique. Qu'ils clament : "Oui, nous sommes antisarkozystes, nous n'avons jamais cessé de l'être depuis mai 2007 !" Laisser croire que Sarkozy tient les médias est sans doute la plus grosse arnaque intellectuelle du quinquennat. Tout ce qu'il a entrepris a été pilonné. Avec une méthode et une ferveur militante qui n'ont pas pu échapper aux Français les plus lucides. "Certains grands paranoïaques martèlent que Sarkozy contrôle les journalistes, notait le philosophe Luc Ferry dans un débat télévisé. C'est faux bien sûr. Vu ce qu'il prend dans la musette chaque matin, il ne serait pas très habile ! Aucun président de la République n'a été aussi maltraité par la presse. A croire que les journalistes ont un contentieux personnel avec Sarkozy. La preuve, c'est que François Fillon, qui fait la même politique que Nicolas Sarkozy depuis cinq ans, a une cote de popularité bien supérieure à celle du président." (Journal de Ruth Elkrief, BFM TV, 21.10.2011)
Depuis des années, je ne cesse d'observer le fonctionnement des journalistes. Tous, ou presque, partagent les mêmes indignations, les mêmes offuscations. D'une culture générale souvent navrante, ils sont moutonniers, dociles, poltrons, sans imagination. Ils ne connaissent ni leur histoire, ni leur géographie... ni leur conjugaison ! Au fond, rien ne les distingue du reste des mortels. A l'exception, peut-être, d'un gène récessif, d'une caractéristique bien de chez nous : le syndrome du No pasaran ! Comme les héros magnifiques de la guerre d'Espagne, les journalistes français veulent empêcher le fascisme de passer ! L'intention est louable, mais les franquistes ayant disparu du paysage, et les Chemises brunes étant rares désormais, les journalistes du troisième millénaire s'inventent de nouvelles pestes brunes : Nicolas le Nabot et ses rêves de débat sur l'identité nationale, Claude Guéant, l'homme qui pourchasse les Roms, Brice Hortefeux, l'exécuteur des basses œuvres de la sarkozie, le système bancaire... et surtout, le libéralisme : l'idéologie malfaisante par laquelle le mal est arrivé ! Vous avez sans doute remarqué que dans l'imaginaire de quelque 37 000 pisseurs de copie professionnels, l'économie de marché s'est substituée au national-socialisme comme valeur repoussoir. Les journalistes se voient en combattants de la liberté, imprimant des samizdats dans la clandestinité, écoutant Radio Londres dans l'obscurité d'une cave ou d'une soupente. Ils s'idéalisent en Jean Moulin de la plume, luttant contre l'oppresseur fasciste, le patron du complot anti-France : Nicolas Sarkozy.
L'avantage n'est pas mince pour ces fanfarons : la lutte contre le tyran Sarkozy se révèle moins risquée que le combat de nos aînés, qui imprimaient, dans la clandestinité d'une France sous la botte, des titres comme Combat, Défense de la France ou Franc Tireur. Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, peu de mes confrères ont été fusillés par un peloton d'exécution sur ordre de François Fillon ou jetés, sur injonction de Claude Guéant, sur la paille humide d'un cachot. L'autre avantage de cette lutte sans merci contre "le chef de la République des pourris" est qu'elle permet de prendre des postures de héros sans risquer de perdre son sang sur le champ de bataille, sans entrer dans la clandestinité, sans quitter femme et enfants, ni abandonner ses prérogatives sociales. Sur le plan pratique, cette "Résistance attitude" n'interdit pas de se rendre, chaque matin vers 10h30, au bureau, ni de bénéficier des acquis sociaux qu'offrent la société française et le salariat. On rejoint les FTP dans le maquis, tout en restant à la maison. Le journaliste n'est pas homme à bouder ces petits avantages...
Cela fait des décennies que je les scrute ! J'aurais pu créer un observatoire du journalisme français (OJF). Ma conclusion, c'est qu'un obscur baveux, c'est comme un flic de quartier, ça ne fonctionne pas au fric mais au sentiment. C'est un idéaliste, ça veut être reconnu, ça veut tutoyer la gloire. Hélas, la vie de journaliste a beaucoup perdu depuis Emile de Girardin et Albert Londres. Les journaux, radios et télés ont rarement les moyens de financer des investigations et des enquêtes. Dans leurs open spaces paysagés, les résistants ripolinés consacrent l'essentiel de leurs 35 heures (29 à Télérama) à recopier des dossiers de presse ou des dépêches d'agence. Heureusement, grâce à ce salutaire esprit de résistance, les nouveaux maquisards, syndiqués comme un seul homme sous les bannières SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT, FO ou CFTC, et payés sur treize ou quatorze mois, ont retrouvé un peu de leur superbe. L'antisarkozysme a balayé ces petites humiliations et, toute honte bue, du fond de leurs rédactions grises et sans avenir, ils pratiquent désormais... la Résistance !
Résister, c'est briller vis-à-vis de son entourage, ses amis, sa famille, la communauté journalistique. Pour un couple qui se désunit après un trop long mariage, entrer en Résistance c'est une activité revigorante, comme l'échangisme ou le cyclotourisme. Quand on résiste, on intrigue, on complote, on s'invente des clandestinités, des interdits, des transgressions ! On prend des postures à la Zapata, à la Régis Debray, on se rêve clone de Woodward et Bernstein, les chantres du Washington Post qui firent tomber Nixon, en 1974, à la suite de l'affaire du Watergate. Mais résister à qui ? A quoi ?
Ben, à la sarkozie, bien sûr !
- Mais la France est une démocratie ! Une des plus enviées au monde.
- Tu rigoles ! Avant, oui. Mais aujourd'hui, c'est un ersatz d'Etat totalitaire !
- Enfin, il ne faut pas exagérer, vous ne parviendrez jamais à faire passer Sarkozy pour Hitler ou Laval...
- Ah, mais t'as quoi dans les yeux ? Tu lis quoi le soir ? Le Figaro Magazine ou quoi ? T'as pas remarqué que ce désir de surpuissance qui étreint la plupart des hommes de petite taille a complètement gangrené la psychologie de ton Sarko ? T'as pas remarqué des ressemblances avec Napoléon 1er et Hitler ? T'en as connu, toi, des dictateurs de plus de 1 mètre 60 ? Non, évidemment. Sarko est obsédé par la tentation du pouvoir absolu. Il a placé ses hommes partout ! Nous, journalistes, on doit dénoncer ça, sinon on est des collabos.
- Mais arrête de te prendre pour un fanal éclairant le monde des ténèbres ! C'est toi qui exagères et qui manques de lucidité !
- Je manque de lucidité ? Mais Sarko a mis la France à sa botte. Notre dignité, c'est de raconter l'Etat corrupteur, menteur, tricheur, voleur, fliqué. C'est à nous de dire tout ça aux Français. C'est notre devoir !
- ...
Un dialogue imaginaire ? Allons donc, je l'ai déjà eu avec une bonne centaine de journalistes œuvrant dans les titres les plus sérieux de notre pays, parlant devant les micros les plus écoutés, présentant les journaux télévisés les plus regardés. Ils sont sûrs d'eux, à la limite de l'arrogance, persuadés de leur mission salvatrice face au despote (...)
La juxtaposition de ces gros titres (Karachigate, les mallettes, Bettencourt, Woerth...) et surtout le martèlement quotidien de slogans antisarkozystes ne font que conforter les électeurs de gauche dans leur rejet du Président, ils ébranlent aussi ceux qui ont voté à droite en 2007 : 'Arrêtons de croire que le dégoût devant cette chienlit ne saisit que l'opposition, commente Philippe Bilger, le célèbre magistrat qui a soutenu Nicolas Sarkozy en 2007. Je ne supporte pas cet étalage, cette ingénuité perverse, ces transgressions obscènes." (Marianne - 01.10.201)
Dans ce qu'ils estiment être une dictature qui tait son nom et cache sa vraie nature derrière les derniers feux d'une démocratie chancelante, les journalistes français -FFI de pacotille- se rêvent en ultimes remparts contre la vulgarité sarkozyenne. Eux ne collaboreront jamais. (...)
On doit au colonel Eugène Stoffel, brillant archéologue et officier apprécié de Napoléon III, un tableau assez abrupt de la psychologie française. Le manque de discernement de certains journalistes me pousse à le porter à votre connaissance : "Quoi qu'il en coûte à mon amour pour la France : nous sommes, avec tout notre esprit, le plus sottement vaniteux, le plus badaud et le plus niais de tous les peuples. Il n'y a pas un pays d'Europe où il se débite plus de sottises, plus d'idées fausses et plus de niaiseries."
Comment leur expliquer, à ces "révoltocrates" de machine à café, dépositaires de l'honneur du journalisme français, que précisément, dans une France où la planète pensante est un territoire occupé par la gauche depuis 1968, la Résistance est ailleurs ? Comment leur expliquer que les convenus, les attendus, les idiots, les vulgaires, ce sont eux ? Comment leur faire comprendre que la véritable indignation n'est pas celle de leur gourou Stéphane Hessel, dont la pensée révoltée contenue dans 32 pages pitoyables est à peine du niveau d'une classe de CE1 ? (...)
N'essayez pas d'expliquer à un journaliste qu'il s'est trompé. Trop compliqué, trop abstrait. Avec la presse, il faut faire binaire : Sarkozy, c'est le tyran, le Caudillo puissance dix, le Moloch du troisième millénaire. Et les journalistes, eux, sont les Brigades internationnales, les combattants de la liberté, ça oui, ils comprennent. "Les Français sont des veaux" se serait un jour exclamé le général de Gaulle. Les journalistes aussi ! Mais comment faire comprendre à ces révolutionnaires de cour de récré qu'ils sont l'incarnation moderne et satisfaite des quadrupèdes dont parlait l'homme du 18 juin ?
"Pourquoi Sarko va gagner"
Eric Brunet
Editeur Albin Michel
Pages 58 à 72