LU DANS " LA VOIX DU NORD" (Aire-sur-la-Lys est une commune de 10 000 habitant située dans le Pas-de-Calais). Extraits :
QUESTION : Vous dressez un tableau très noir.
« Oui c’est noir. Tout ce qui tourne autour de mon métier est une forme de souffrance, et je ne suis pas la seule à le ressentir. Des collègues me disent qu’ils sont passés par là. »
QUESTION : Quel est le point le plus grave ?
« La maîtrise du français. J’aide des élèves en maths qui n’ont pas compris une consigne, le vocabulaire. On fait le constat qu’ils réussissent de moins en moins. Ce n’est pas la faute des professeurs mais de l’institution. Mes enfants âgés de 10 ans savent peut-être plus de choses que moi à leur âge mais c’est du saupoudrage. Je parle de construction des phrases à mes élèves latinistes, certains ne savent pas différencier les attributs du sujet du COD. On nous répond que ce n’est pas l’essentiel, l’important est qu’ils sachent écrire, penser, parler spontanément. Mais si on ne maîtrise pas l’outil, on ne peut pas s’en servir. »
QUESTION : Vous appelez à résister.
« J’essaye d’apporter le maximum à mes élèves. Je ne me résigne pas, je suis en résistance depuis longtemps, en secret. Je fais des évaluations de vocabulaire, j’impose aux élèves l’apprentissage par cœur. Je leur dis que c’est en faisant des efforts qu’on réussit, en s’entraînant comme pour leurs sports. Alors qu’en formation, on nous dit de faire du ludique ; que le par cœur, les tables de multiplication, la conjugaison, ne servent à rien ! Je persiste : mon apprentissage n’est pas ludique car je ne suis pas animatrice de centre aéré, et je dis cela en ayant beaucoup de respect pour cette profession. »
QUESTION : Quelles solutions ? Vous proposez un Grenelle de l’éducation.
« Je n’ai pas les solutions. Ce sont des experts qui n’ont pas ou peu enseigné qui parlent de notre métier. Mais quand fera-t-on confiance aux professeurs, les premiers concernés ? »
Julie Daniel, éditrice aux Éditions du Rocher : « J’étais intéressée par le recul d’Isabelle sur l’Éducation nationale, elle a fait beaucoup de recherches sur le sujet, poursuit son éditrice. C’est un coup de gueule, sa plume est assez acide. Elle fait un constat terrible sur la régression de l’Éducation nationale. Cela touchera tous ceux qui ont des enfants. »
Le livre est sorti le 23 août (Éditions du Rocher, 18,90 €, 223 p.).
Je viens de voir l'auteur interrogée à la télévision. Elle constate avec tristesse que beaucoup d'élèves arrivent en 6e sans maîtriser la langue (française !) donc sont parfois incapables de comprendre ce qui leur est demandé. J'ai à mon tour une QUESTION : Pourquoi peut-on entrer en 6e sans maîtriser la langue française ? Puis une autre QUESTION pour enchaîner logiquement : Pourquoi donne-t-on le baccalauréat à des lycéens qui ne savent pas écrire correctement en français ? Il y aurait une ultime suite logique avec cette QUESTION : Pourquoi certaines entreprises sont-elles désormais (c'est nouveau) obligées de faire donner des cours de rédaction en français à des ingénieurs et cadres ayant décroché le bac puis un diplôme universitaire ?
Qui sont les responsables de la dégradation de notre système éducatif ? Ces malfaisants méritent d'être tous cités, montrés du doigt, et pourquoi pas conspués, car la catastrophique Belkacem, malgré ses immenses talents pour la destruction, n'a pas pu à elle seule causer en si peu de temps des dégâts aussi considérables. Voici les coupables des 40 dernières années :
René Haby
Christian Beullac
Alain Savary
Jean-Pierre Chevènement
René Monory
Lionel Jospin
Jack Lang
François Bayrou
Claude Allègre
Luc Ferry
François Fillon
Gilles de Robien
Xavier Darcos
Luc Chatel
Vincent Peillon
Benoît Hamon
Najat Vallaud-Belkacem
Toujours au sujet de l'Education, voici quelques extraits d'une chronique de Jacques Julliard parue dans LE FIGARO le 4 septembre :
Il n'y a pas que les Français pour être rebelles à toute idée de réforme, comme vient de l'affirmer un Emmanuel Macron au bord de l'exaspération. Leur École aussi, malgré les projets qui se succèdent depuis cinquante ans à la cadence des rames de métro vers 18 heures. Pourquoi ? Parce qu'il existe, au chapitre de cette École, deux projets concurrents qui se sont révélés, à l'usage, incompatibles. Le premier est d'en faire un instrument de diffusion du savoir et de la culture. On a cru longtemps qu'il ne saurait y en avoir d'autre. Erreur ! Depuis un bon demi-siècle existe en effet un autre projet qui consiste à faire de l'École un instrument de réduction des inégalités sociales. Appelons le premier « le projet Jules Ferry » ; c'est celui de la IIIe République. Et appelons le second « le projet Bourdieu-Meirieu » ; c'est le projet de la sociologie critique et des pédagogistes professionnels. Depuis 1981, jusqu'au mois de mai dernier, c'est le modèle Bourdieu-Meirieu qui l'a emporté au sommet de l'État, et notamment dans le camp retranché de la Rue de Grenelle, où les ministres passent mais où les docteurs du crétinisme égalitaire sont inamovibles.
(...) Au départ, la volonté délibérée de donner le baccalauréat à quiconque s'y présente. Luc Ferry prétend même que pour s'y faire coller, il faut en faire la demande écrite… Or le baccalauréat, on l'oublie trop, est le premier diplôme de l'enseignement supérieur. Sa fonction de sélection minimale - à tout le moins d'orientation - ayant disparu, il en est résulté un gigantesque embouteillage à l'entrée des universités. Dans certaines options, on en est à éconduire des mentions « très bien » au bac ! Conséquence : on a recours, sous prétexte de ne pas sélectionner, au tirage au sort ! On a honte pour l'Université. Mais cette bouffonnerie a au moins le mérite de démontrer que le refus de toute sélection par le savoir a pour conséquence inéluctable la négation du savoir lui-même. Et le triomphe de l'obscurantisme ! Connaissez-vous d'autre lieu, en France ou dans le monde, des États-Unis à la Corée du Nord, où l'on sélectionne les aptitudes et les compétences par tirage au sort ?
(...) Si encore les résultats en matière d'égalité compensaient l'abandon par l'École de son ambition scientifique ! Ce n'est pas le cas : non seulement la France est un pays en voie de déculturation lente, comme en témoignent les résultats cumulés des enquêtes Pisa et du classement de Shanghaï des établissements d'enseignement supérieur, mais elle demeure l'une des nations d'Europe où les inégalités constatées à l'école sont les plus profondes. C'est un échec cuisant que seule la complicité des rubriques spécialisées de la presse bien-pensante parvient à dissimuler en partie au grand public.
(...) Les premières déclarations et les premières décisions du nouveau ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ont signifié clairement que la ligne Bourdieu-Meirieu était abandonnée au profit de la ligne Jules Ferry. Je m'en réjouis. Il était temps.
(...) Savez-vous pourquoi, en dépit de leurs vibrantes déclarations, les présidents de la République successifs depuis Georges Pompidou se sont désintéressés de l'École ? Parce que c'est un domaine où les résultats sont lents à se faire sentir et, par conséquent, d'un rendement électoral faible. Si Emmanuel Macron avait le courage de s'attaquer à cet immense chantier, mieux encore, de le poursuivre jusqu'à la fin de son quinquennat, je serais, au nom d'une certaine idée de la République et de l'enseignement, disposé à lui pardonner toutes les bêtises qu'il pourrait commettre ailleurs.
Historien et essayiste, Jacques Julliard est éditorialiste de l'hebdomadaire Marianne.